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SALIF KEITA: «Je dormais avec un fou»

Le grand musicien malien dit adorer le coupé décalé.

A 63 ans, l’ex-lead vocal du Rail Band de Bamako et des Ambassadeurs est toujours bon pour le service vocal, musical et humanitaire. Chanteur, président de sa Fondation pour la protection des albinos, Salif Kéita est un redresseur de tort, qui revient sur ses grandes rencontres musicales et humaines.


Vous étiez récemment aux côtés de Mme Dominique Ouattara, la Première Dame ivoirienne,  pour la soutenir dans son projet de construction d’un l’Hôpital mère-enfant. Comment appréciez-vous, avec du recul, cette opération?

Toute la crème de la société était présente parce que Mme Ouattara est gentille et adorable, mais aussi parce que le projet est noble. J’ai apprécié que cela soit en faveur des enfants africains.

Vous le dites parce que vous êtes partie prenante de ce type de lutte. Vous avez vous-même une fondation qui protége les enfants touchés par l’albinisme…

Effectivement, je me sens concerné parce que j’ai moi-même été rejeté. Enfant, je dormais un peu partout. Souvent dans la rue, quelquefois au marché…

Parlant de marché, est-ce vrai que vous y dormiez avec un fou?

Quand j’étais gosse, j’avais été rejeté par tous, parce que j’étais albinos. Par la famille, par l’école. Je passais donc mes nuits dans un marché. Et il se trouve qu’un fou y dormait, lui aussi, tout près de moi. J’avais l’habitude, le soir, d’aller avec ma guitare, me faire de l’argent, grâce à des prestations dans les cabarets, dans des bars. Après ce boulot, quand je revenais au marché, je constatais tous les jours qu’il avait déjà bien dressé mon lit.

Il le faisait tellement bien que j’oubliais souvent qu’il était fou. A l’époque, si je possédais un toit, je puis vous assurer que je l’aurais hébergé. Mais je n’avais pas les moyens d’en avoir. Néanmoins, je ramenais, chaque fois que je rentrais, des sandwichs et de boisson pour lui.

Vous arrivaient-ils de discuter? De quoi parliez-vous?

Non! On se couchait côte à côte, en silence. Il ne disait rien. Moi non plus je ne lui adressais pas la parole, mais pour une toute autre raison : j’avais peur de converser avec lui. C’était un fou après tout et je le savais.

L’avez-vous revu?

Non et c’est l’un de mes grands regrets, j’aurais tant aimé l’aider. Quand j’ai pu m’épanouir, je l’ai cherché en vain. Il y a un lépreux qui a tenté, en vain, se faire passer pour lui parce que ce fou, je me souviendrais toujours, de son visage. En plus, bien avant que je ne gagne correctement ma vie, il avait déjà disparu.

N’avez-vous pas une petite idée d’ où il pourrait être?

Si ! Je me demande s’il n’a pas été sacrifié parce qu’à l’époque des élections politiques, la tendance était au sacrifice des laissés-pour- compte de la société. Je me demande s’il n’en a pas fait les frais. Mais ce sont là des supputations.

La différence, votre dernier album, rend compte des discriminations que subissent certaines catégories de personnes, les albinos par exemple. En dépit de sa couleur un peu inattendue, il se comporte bien. En êtes-vous surpris?

Pour être sincère je répondrais « oui ! ». L’album s’est bien vendu. J’ai obtenu Les victoires de la musique en France, dans la catégorie « World music ». Je ne m’y attendais pas parce qu’il a été écrit dans le mouvement, un peu en réaction aux souffrances qu’endurent les albinos du monde entier, mais singulièrement en Afrique orientale et subsaharienne. Je me sens un peu comme leur porte-voix. L’album s’est bien vendu aux Etats-Unis, en Europe.

En revanche, votre album Sosie, où vous ne faites que des reprises de chansons françaises, a connu moins de succès médiatique, au point de paraîetre même clandestin. Pourquoi est-il si méconnu?

Il n’a pas été distribué par Polygram (Ndr : Sosie a été distribué par Night et Day) qui trouvait un peu osé que je ne fasse que des reprises de hits français. Mais j’ai réussi à bien vendre en Afrique et dans les pays scandinaves. Curieusement, mes reprises de Je suis venu te dire que je m’en vais de Gainsbourg, Chantez pour ceux qui sont loin de chez nous de Michel Berger, Avec les temps de Léo Ferré, Le lac majeur de Mort Shuman plaisent et l’album est de plus en plus demandé.

Comment faites-vous pour épouser le mode français, alors que vous êtes imbibé du mode manding?

La présence des strings, les types d’arrangements ne sont, en fin de compte, pas si éloignés que ça de la musique africaine. Il y a toujours un lien. C’est ce lien qui m’a permis d’ajouter, sans dommage aucun, le balafon et la kora. Et je pense que le résultat est bon.

Vous aimez les rencontres au point de travailler avec Richard Bona. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de cette autre collaboration?

Bona et moi sommes distribués par la même maison. Il a toujours aimé ce que je fais et vice versa. Il m’appelle un jour des Etats-Unis, pour m’annoncer qu’il vient à Bamako pour une collaboration. Je lui ai répondu, pour le chahuter, que ne suis pas le genre de chanteurs qu’il recherche. Il s’est marré et, une semaine plus tard, il a débarqué. On a travaillé pendant 4 heures environ, en quelques prises, et il en a été satisfait. Je lui demande alors le titre de la chanson, il me répond : Kalanbangoro, du nom du quartier où se trouve mon espace culturel où nous avons enregistré ce titre. J’ai apprécié cette marque de gratitude.

Que dites-vous, quand c’est votre tour de chanter?

«N’écoute pas les rumeurs./ Tout ce qui se dit sur toi doit te glisser sur la peau/ si tu veux avancer».

Pouvez-vous nous évoquer votre rencontre avec Césaria Evoria?

Paix à son âme. Son départ m’attriste. Elle a connu la gloire tardivement, et n’a donc pas vraiment profité de son succès pendant longtemps. Mais quand Dieu décide, on n’y peut rien. Il faut accepter sa volonté (…). Pour cette collaboration, j’avais fini ma chanson et j’ai fait comprendre à mon producteur que je voulais un duo avec un espagnol ou un portugais. On a tout de suite contacté Césaria qui était enchantée et la collaboration a été fraternelle.

Vous aimez les rencontres. Il se dit de votre prochain album qu’il est électronique?

Effectivement, c’est une musique électronique. Je l’ai réalisé avec Gotan Project (Ndlr : groupe franco-argentin mêlant tango et musique électronique). Il comprend 12 titres, mais je ne sais pas combien seront retenus en définitive. Le choix revient plutôt à la maison de disques.

Quand sort-il ?

A la mi-septembre.

Quel regard le chanteur que vous êtes jette-t-il sur la vague de musiques urbaines avec les jeunes qui ont choisi de déconstruire le chant, et qui arrivent tout de même à vendre?

Il y a deux façons de faire de la musique. Soit de manière élaborée, pour faire réfléchir les gens qui sont amenés à l’écouter, soit pour danser les gens, tout simplement. Et c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. J’aime le coupé décalé.

Ah bon?

Le rythme est bon, soutenu, j’aime beaucoup.

 

ALEX KIPRE

 

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