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MALI: Les malheurs du pays

Le Mali va mal!

Ça va mal au Mali, au point de s’etre transformé en vecteur de périls; d’autant plus redoutable qu’il borde 7 pays: Algérie, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Conakry, Mauritanie, Niger et Sénégal. Il est presque le seul pays africain aussi enveloppé, du Maghreb au Golfe de Guinée via le Sahel. Si l’on y ajoute sa taille (1 240 000 km2) et la bigarrure de sa population (fracture communautaire entre Noirs du Sud et Touaregs à la peau blanche au Nord), on boucle l’assemblage d’un baril de poudre.


Depuis la mi-janvier 2012, la rébellion déclenchée par les irrédentistes touaregs, eux-mêmes appuyés par les islamo-terroristes d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), a transformé le baril en silo de poudre constellé d’étincelles et léché par les flammes. Une date qui a ponctué le début d’une cascade de revers militaires: chutes des garnisons et places fortes de l’armée (sur le théâtre des opérations), déconvenues politiques et sociales (malaise dans la classe politique et colère au sein des familles de soldats), le tout ayant culminé le 22 mars dernier, avec le coup d’Etat militaire des sans-grades conduits par le Capitaine Amadou Aya Sanogo.

Ce dernier est ainsi devenu, à son corps défendant, le chef d’une junte dont le sigle, Comité national pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNRDRE) est, à la fois, un catalogue de griefs à l’endroit du Président ATT et un vaste programme pour l’avenir immédiat. Voilà pourquoi la junte n’est ni populaire ni impopulaire. Elle est tout bonnement malienne, c’est-à-dire le fruit amer d’une gouvernance déficiente qui a mal emprunté la dernière ligne droite du calendrier républicain, en plus d’avoir – et surtout – mal défendu l’intégrité territoriale, tant du point de vue de la prévention des ondes de choc de la crise libyenne au Sahel, qu’au plan de l’effort et de la planification militaires.

Autrement dit, la junte est l’éclosion d’un oeuf pondu par la rébellion, elle-même – dans son profil de milice puissamment armée comme dans sa double vocation indépendantiste et islamiste – dérivée de l’action brutale de l’OTAN en Libye. Telle est la lecture adéquate qui peut favoriser une efficace implication de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) désireuse de jouer au Mali, le rôle que lui confèrent les textes communautaires. Toute autre perception du socle de la crise déviera la route et barbouillera la feuille de route. Du reste, la majorité des Maliens – à l’image de Mme Keita Dieynaba, Présidente de l’Association des Veuves et Victimes de Guerre (AVVG) – pense qu’il s’est agi plus d’un coup d’Etat contre ATT, que d’un assassinat programmé de la démocratie.

Dans ce capharnaem malien, Alassane Ouattara et Yayi Boni (respectivement Présidents en exercice de la Cedeao et de l’UA) jouent une partie très serrée. En clair, il est question de défendre simultanément la démocratie anéantie et le pays assailli et…brisé. Un casse-tête sans précédent dans les annales des crises ouest-africaines ; puisque la ressemblance avec le conflit ivoirien n’est pas totale : Guillaume Soro – à la différence de ses émules touaregs – voulait le pouvoir à Abidjan et non une sécession ou une indépendance du Nord de la Côte d’Ivoire.

A l’issue des sommets d’Abidjan et de Dakar (27 mars et 2 avril), les observateurs constatent que la Cedeao approfondit continuellement l’exploration de ses pistes dans le dossier épineux du Mali. Certes, toute une batterie de mesures a été mise en branle, mais leur incidence, au vu du contexte, demeure aléatoire. Et mal ajustée. Car, ce n’est pas en ajoutant du chaos au chaos qu’on va restaurer la démocratie institutionnelle ou pacifier les trois régions septentrionales (Gao, Kidal et Tombouctou) du Mali.

Cependant, la perspective d’un chaos généralisé laisse manifestement de marbre, le Président Yayi Boni, un croisé de la démocratie, armé de son bréviaire et de son bazooka. Selon le chef de l’Etat béninois, une opération militaire est à la portée des Etats membres. Sur le papier, oui. Sur le terrain, le budget et la logistique seront des équations plus ardues à résoudre. Sauf, si la Cedeao, forte d’une quinzaine d’Etats membres, accepte une humiliante aide militaire de la France, (puissance non africaine) pour l’application de ses propres protocoles.

A cet égard, la participation insolite du ministre Alain Juppé au sommet de Dakar, est révélatrice non seulement d’une nette inclination pour une fermeté martiale mais aussi du rôle obscur de Paris qui tire les ficelles dans l’Azawad par le truchement de la DGSE, aiguillonne la manoeuvre à Bamako via l’ambassadeur de France, Jean Rouyer, et téléguide l’action de la Cedeao par le biais d’Alassane Ouattara, « Préfet du département français de Côte d’Ivoire » pour paraphraser les cadres du FPI de Laurent Gbagbo.

Quant aux effectifs à envoyer au Mali pour une mission aussi confuse, certains Etats ne sont pas prêts à dépêcher leurs soldats dans la chienlit bamakoise ou – plus dangereusement – dans l’immensité sablonneuse du désert malien. Tandis que d’autres trouveront des motifs de politique intérieure ou des considérations géopolitiques pour justifier leur non participation.

Par exemple, les impératifs diplomatiques commandent au Bénin et au Burkina, d’être à la pointe de l’engagement des troupes. Le premier pays apportera la caution de l’UA, alors que le second fera de son contingent, un atout supplémentaire dans sa médiation. Tout comme le Nigeria (mastodonte de l’Ecomog) possède un volume suffisant d’unités et d’équipements pour en être le fer de lance. Abuja est d’autant plus décidé à y aller, que Boko Haram s’affirme de plus en plus, comme le compagnon de route d’Aqmi au Mali et au Sahel.

La Côte d’Ivoire dont chef d’Etat préside la Cedeao dépêchera forcément des unités, même si son armée disloquée par la guerre civile est à l’heure de la restructuration. Plus réservée sera l’attitude du Niger qui a sur son sol, une population touarègue dont les révoltes sont récurrentes. Son intervention serait ressentie à Gao et à Agadez, comme une provocation à l’endroit d’une communauté à cheval sur les deux frontières. Reste l’armée sénégalaise durablement clouée en Casamance. Un bon motif pour le Président Macky Sall, de refuser toute plongée dans l’imbroglio malien, sans pour autant priver le Sénégal de la possibilité de jouer sa partition chez un voisin auquel il est soudé.

Dans l’éventualité d’un débarquement militaire, quels seront les objectifs assignés à l’Ecomog au Mali : mater la junte ou écraser la rébellion ? Pas besoin d’organiser un référendum pour savoir que la perte des 2 / 3 du territoire national est plus insupportable aux citoyens maliens, que la présence d’une junte qui, de toutes façons, aura un destin de météore sur l’échiquier politique. En revanche, une intervention militaire fera le lit d’une « somalisation » accélérée, au vu du démantèlement de la chaîene de commandement de l’armée, consécutif au putsch de l’officier subalterne Amadou Sanogo, de l’existence de deux courants au sein de la rébellion (le MNLA laïc et le très islamiste Ansar Dine), de l’émergence de la milice arabe de Bérabiches et du dynamisme de la force d’autodéfense dénommée Gandakoye.

Jumelée à l’opération militaire, la Cedeao avait décrété un embargo total (fermeture des frontières asphyxie monétaire) pour obtenir le déguerpissement des tombeurs du Président ATT. La réalité cruelle est que ce schéma antérieurement expérimenté contre Laurent Gbagbo (ironie du sort, par les chefs d’Etat de l’UEMOA réunis à Bamako en 2010) esquinterait plus les populations innocentes que la poignée de putschistes du camp Soundiata Keita de Kati. Des sanctions qui répandraient la famine déjà enregistrée dans 160 communes parmi les 170 que compte le pays.

Une punition collective et injuste, lorsqu’on sait que les millions de Bamakois n’ont, ni inspiré ni exécuté le coup d’Etat du 22 mars. Tout comme les habitants des zones occupées par la rébellion n’ont ni souhaité ni sollicité ce qui leur est arrivé. Mais le syndicat des chefs d’Etat très solidaire de l’ex-collègue ATT n’en a cure. Son but est limpide : le peuple affamé « mangera » la junte et son chef. Une déclaration du ministre burkinabé des affaires Etrangères publiée jeudi par la télévision publique malienne fait toutefois espérer un éloignement de cette sombre perspective. Il s’agirait selon M Djibrill Bassolé émissaire du médiateur Blaise Compaoré mandaté par la CEDEAO, d’une levée, « sous peu », des sanctions décidées par l’organisation régionale.

En tout état de cause et pour déjouer le plan de la Cedeao, Sanogo joue sur deux tableaux. D’une part, il caresse le clavier du nationalisme hérité du régime de Modibo Keita. D’autre part, il exploite le péril islamiste dont le vecteur est le mouvement Ansar Dine, en alliance militaire avec Aqmi. Une nouvelle donne qui a accéléré le vote d’une déclaration du Conseil de sécurité de l’Onu, inspirée par la France. A travers les Nations Unies, Paris s’efforce de redistribuer les cartes dans le Nord où ses protégés du Mnla sont politiquement noyés et militairement concurrencés voire dominés par l’islamiste, Iyad Ag Gali qui parade à Tombouctou en compagnie des preneurs d’otages comme Abu Zeid et Moktar Ben Moktar.

Derrière les dangers, les enjeux et les malheurs du Mali, se profile le printemps africain des rébellions et des sécessions dont l’épicentre se situe dans le Sud-Soudan indépendant, nouvel Etat reconnu et membre de l’UA, malgré le dogme de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Ce défi de la dissidence intra-nationale (à l’intérieur des nations) est infiniment plus sérieux que la difficulté que crée le laborieux ancrage de la démocratie. Curieusement, sur ce terrain-là, la solidarité de la communauté internationale est plus manquante que marquante. Comme l’atteste l’écroulement du Mali.

Babacar Justin Ndiaye

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