in

RAYMOND SIEBETCHEU: Recherche de l’expert linguistique camerounais sur la langue italienne en Afrique

Raymond Siebetcheu, est un chercheur camerounais, titulaire d’un doctorat de recherche en Linguistique et Didactique de l’italien aux étrangers, obtenu à l’Université pour Étrangers de Siena, où il collabore actuellement avec la chaire de Linguistique Éducative. Ses travaux portent notamment sur les questions linguistiques des Africains dans les contextes d’immigration et pendant la période coloniale. Ses recherches concernent également les paysages linguistiques, la didactique de l’italien comme langue seconde en Italie et comme langue étrangère en Afrique.

 

Déjà co-auteur du volume « Toscane Favelle: Lingue immigrate in provincia di Siena« , Guerra Edizioni (2004) et  auteur de plusieurs publications scientifiques relatives aux thèmes cités ci-dessus, votre journal Afri-Nous a le plaisir de présenter son livre intitulé « La diffusion de l’italien dans l’espace sociolinguistique africain. Histoire, actualité et perspectives glottodidactiques« , publié aux Editions Universitaires Européennes en 2011 et préfacé par Massimo Vedovelli. Il s’agit du tout premier ouvrage qui affronte de manière systématique la situation de l’italien dans tout le continent africain, soit pendant la période coloniale, soit en ce qui concerne la période actuelle. 

Ce travail s’inscrit dans les activités de recherche du « Centro di Eccellenza della Ricerca. Osservatorio linguistico permanente dell’italiano diffuso nel mondo e delle lingue immigrate in Italia », institué auprès de l’Université pour Étrangers de Siena.

Comme l’affirme Massimo Vedovelli dans la préface, cette recherche «grâce  à son originalité et à son intelligence, ouvre de nouveaux panorama qui laissent découvrir comment l’antique mère Afrique accueille aussi l’italien parmi ses fils et lui donne une nouvelle vie. L’ouvrage de Siebetcheu révèle donc le nouveau statut de l’italien en Afrique».

Les résultats présentés dans ce volume sont le fruit d’une recherche qui a impliqué tous les 54 pays d’Afrique. Grâce à un travail spécifique qu’il a effectué personnellement dans certains pays comme le Cameroun, le Gabon et le Sénégal, l’auteur fait des considérations sur le destin de l’italien en Afrique en général et dans les régions centrale et occidentale en particulier, mettant par ailleurs l’accent sur les conditions nécessaires pour garantir une didactique de l’italien idoine, qui tient compte des besoins et des exigences du public africain.

A la fin du livre, Raymond Siebetcheu synthétise la situation de l’italien en Afrique à travers un petit atlas linguistique. Dans l’interview qui suit, il nous présente les éléments clés contenus dans son ouvrage. 

LA LANGUE ITALIENNE EN AFRIQUE

Quelle était la position de l’italien pendant la période coloniale en Afrique?

Comme avec les autres pays de colonisation, l’occupation italienne en Afrique a comporté une colonisation linguistique en Libye, en Érythrée, en Somalie et en Ethiopie. En tant que langue coloniale, l’italien avait donc un statut de  langue de l’éducation et de l’administration. Cette politique linguistique italienne qui n’a pas toujours travaillé à la promotion des langues locales est une des raisons qui amènera les gouvernements concernés à ne pas adopter l’italien comme langue officielle après l’indépendance. Toutefois les traces d’italianité restent encore dans ces pays à travers les enseignes et la compétence orale des vieillards.

Quelle est la situation actuelle de l’italien en Afrique?

Aujourd’hui la langue italienne est la 4ème/5ème langue étrangère dans les lycées et collèges d’Afrique par ordre d’arrivée et la 2ème  langue étrangère dans la communication publique des principales villes du continent. Plus de 106 milles élèves et étudiants suivent les cours d’italien, enseignés par environ 1.500 enseignants, dans 34 universités et 575 lycées et collèges africains. Il existe actuellement en Afrique, 8 Instituts Italiens de Culture (IIC), 10 comités Dante Alighieri et 10 écoles italiennes. Les enseignants d’italien  d’Afrique se forment dans leurs pays respectifs mais aussi dans certaines universités italiennes, en particulier dans les universités spécialisées en didactique de l’italien aux étrangers comme les universités pour étrangers de Sienne, de Pérouse et l’Université Ca’ Foscari de Venise.

Quel est le rôle de l’italien dans le continent africain?

L’italien joue un rôle décisif en Afrique au moins pour quatre raisons qui se résument en deux binômes: langue de paix et de développement ; langue de contact et d’identité.

Langue de paix et de développement parce que comme on a pu l’observer en Somalie à partir des années Soixante-dix dans le cadre du projet de l’Université Nationale de Somalie, la langue italienne, grâce aux professeurs universitaires italiens, a contribué au processus de somalisation linguistique de la Somalie et à la formation universitaire des citoyens de ce pays. Par ailleurs, grâce aux écoles italiennes d’Ethiopie et d’Érythrée qui comptent environ 2.500 élèves, dont plus de 80% d’origine africaine, la langue italienne à travers la formation scolaire de qualité de ces institutions contribue au développement humain et social de ces Africains et de leurs pays. En outre, la langue de Dante Alighieri ainsi que les entreprises italiennes dans certains pays ont donné naissance à des professions jusque là pas encore opérationnelles, ou moins diffusées, avec la langue italienne: traducteurs, interprètes, enseignants, guides touristiques, médiateurs linguistiques, etc.

L’italien est une langue de contact et d’identité, qui se justifie par le dialogue entre les langues locales et le nombre impressionnant d’italianismes qu’on observe sur les enseignes dans villes africaines. L’identité de la langue italienne est aussi marquée par son adoption volontaire dans le patrimoine linguistique de beaucoup de jeunes africains qui l’étudient dans les  centres linguistiques et les lycées et universités du continent. Aujourd’hui, l’italien n’est plus seulement une langue à étudier, en vue d’une immigration intellectuelle en Italie, mais est aussi une langue à enseigner dans ce sens que beaucoup d’africains trouvent en l’italien un bien sur lequel construire leur carrière professionnelle en Afrique.

Quelle est la situation de la langue italienne en Afrique septentrionale?

Si avant la période coloniale la langue italienne était la l’idiome de la diplomatie et de la communication internationale dans une bonne partie de l’Afrique septentrionale grâce à la forte présence d’une émigration intellectuelle et élitaire italienne, aujourd’hui elle a perdu ce statut mais reste une importante langue étrangère. Sur plus de 106 milles élèves et étudiants d’italien dans toute l’Afrique, environ 90 milles proviennent de l’Afrique du Nord. Par ailleurs, 1.000 des 1.500 enseignants d’italien d’Afrique appartiennent à cette zone. Le public d’italien de l’Afrique du Nord provient principalement des 539 lycées et collèges et s’élève à 73.370 unités. La Tunisie se taille la part du lion avec 56.000 élèves. Les enseignants des lycées et collèges sont formés dans les différents départements d’italianistiques des universités présentes dans les pays respectifs.

Et en Afrique orientale?

Grâce à son héritage colonial, bien que n’étant la langue officielle dans aucun  de ces pays, l’italien reste la deuxième langue européenne la plus parlée après l’anglais dans la Corne de l’Afrique, exclu le Djibouti. En Ethiopie l’italien est connu principalement à Addis Abeba et dans la partie septentrionale. En Érythrée, on trouve beaucoup de locuteurs d’italien à Asmara, surtout parmi les vieillards. En Somalie, après avoir été une langue véhiculaire jusqu’en 1990 à Mogadiscio, aujourd’hui l’italien est parlé principalement dans la zone méridionale du pays (justement celle colonisée par l’Italie). Mais au-delà de la communication orale des plus vieux, grâce aux écoles italiennes d’Addis Abeba et d’Asmara, l’italien est aussi parlé par un bon nombre de jeunes africains. La langue italienne est aussi présente dans cette partie d’Afrique grâce aux Instituts Italien de Culture (IIC) d’Addis Abeba et de Nairobi.

Qu’en est-il de l’Afrique australe?

Sur plus de 53.000 Italiens résidant en Afrique, environ 30.000, c’est-à-dire plus de la moitié, résident en Afrique du Sud. Ce pays compte donc le plus grand nombre de mineurs italiens (17% de la population totale). Cependant, si au niveau universitaire on compte plusieurs départements d’italianistiques, au niveau scolaire, il n’existe pas encore d’école italienne en Afrique du Sud. L’italien est enseigné comme langue étrangère dans les écoles locales avec le concours de certaines associations culturelles telles que les comités Dante Alighieri. Dans un contexte linguistique sudafricain dominé par 11 langues officielles, l’italien est seulement la 3ème/4ème langue étrangère des enfants italiens.

Quelle est la situation dans les pays de l’Afrique centrale et occidentale? 

Nous avons observé des résultats intéressants au Congo Brazzaville, au Togo et même en Côte d’Ivoire, mais ici nous illustrons de manière spécifique la réalité de l’italien dans trois pays: le Cameroun, le Sénégal et le Gabon.

■ Au Cameroun, l’italien commence a être enseigné de manière officielle en 1995 à l’Université de Dschang, même si avant cette période il existait déjà un centre linguistique à Yaoundé, qui formait les jeunes désireux de poursuivre leurs études en Italie. En 2008, l’italien a été introduit officiellement à l’Ecole Normale Supérieur de Maroua, qui a vu ses premiers récipiendaires en 2011. Depuis une dizaine d’année il existe un lectorat d’italien à l’Université de Yaoundé I et, depuis 2010, l’Université Catholique d’Afrique centrale a également introduit un lectorat d’italien dans ses programmes. En 2010, on comptait environ 2.200 jeunes ‘italianisants’ au Cameroun, parmi lesquels 1.500 dans les centres linguistiques et 700 au niveau universitaire. Le public d’italien au Cameroun est donc principalement concentré au niveau des centres linguistiques et a l’objectif de poursuivre les études universitaires en Italie. L’Italie est en effet un des pays européens qui a attiré le plus grand nombre d’étudiants camerounais, ces dernières années. L’introduction de cette langue dans les lycées et collèges du Cameroun comportera certainement une forte augmentation du public d’italien dans les prochaines années. Le Cameroun est le seul pays africain qui compte les quatre certifications d’italien comme langue étrangère (CELI, CILS, IT, PLIDA) et la certification de compétence en didactique de l’italien comme langue étrangère (DITALS).

■ Au Sénégal , l’italien commence à être enseigné à partir de 1938, grâce au comité Dante Alighieri de Dakar. Successivement un Institut Italien de Culture (IIC) est institué à Dakar. Aujourd’hui l’IIC et la Dante Alighieri n’existent plus, mais l’italien est enseigné dans les lycées et à l’Université depuis plus de 30 ans. En 1981, le Sénégal était le premier pays d’Afrique subsaharienne, après la Somalie, avec le plus grand nombre d’étudiants d’italien: on comptait en effet plus de 600 étudiants qui fréquentaient les lycées, l’université, l’Institut Italien de Culture et les centres linguistiques locaux. En 1992, l’italien est passé de matière optionnelle à l’université à matière curriculaire, avec l’introduction d’une section d’italien dans le Département de langues et civilisations romanes de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. En 2002, dans la même université, une section d’italien a été créée à l’Ecole Normale Supérieur pour former les futurs enseignants des lycées et collèges. En 2004, les enseignants sénégalais ont bénéficié d’un cours de formation in situ, grâce au soutient du Ministère italien des affaires étrangères et du Centre DITALS de l’Université pour étrangers de Siena. Actuellement environ 1.800 élèves suivent les cours d’italien dans la quinzaine de lycées et collèges du pays, 200 dans les centres linguistiques de Dakar et environ 300 étudiants proviennent de deux universités publiques et  d’une université privée.

■ Au Gabon, malgré le nombre réduit d’Italiens y résidant, l’italien est enseigné dans le système scolaire depuis plus de 30 ans. Un primat que le Gabon partage seulement avec le Sénégal dans les sous régions de l’Afrique centrale et occidentale. Actuellement environ 500 élèves suivent les cours d’italien dans les lycées et collèges gabonais, principalement au lycée Léon Mba, le plus important lycée du pays. L’italien est enseigné à l’Université Omar Bongo de Libreville depuis l’année 2000 où, chaque année, plus de 500 étudiants suivent les cours d’italien comme matière optionnelle dans plusieurs départements et facultés. Le Gabon dispose aussi d’un centre linguistique conventionné avec le Centre CILS (Certification de l’italien comme langue étrangère) de l’Université pour étrangers de Siena, qui organise des cours de langue et culture italienne pour les jeunes Gabonais qui désirent se rendre en Italie. En 2011, grâce à la collaboration avec l’Université pour étrangers de Siena, le Gabon à bénéficier d’un cours de formation pour enseignants d’italien.

Quatrième de couverture 

L’héritage linguistique postcolonial de l’Afrique ne saurait se résumer au binôme « français – anglais ». A côté de ces deux langues, composantes de l’identité plurilinguistique du continent, on y trouve d’autres langues occidentales: c’est le cas de l’italien. Cette langue, qui se réclame aussi comme un des patrimoines de l’histoire linguistique de l’Afrique, est aujourd’hui parmi les plus visibles du continent.

A quoi doit-on cette position de l’italien? Pendant la colonisation quelle était la politique linguistique de l’Italie et quelles langues parlaient les Italiens et les indigènes? Quelle est l’utilité et le destin de l’italien dans ce continent, communément identifié par ses limites sociales?

Avec plus de 106.000 étudiants et plus de 1.500 enseignants, l’italien est aujourd’hui en Afrique la 4ème/5ème  langue étrangère dans les lycées et collèges et la 2ème langue au niveau des enseignes. Au lendemain du cinquantenaire de l’indépendance de plusieurs pays africains et pendant l’année du cent-cinquantenaire de l’Unité d’Italie, ce livre se propose de faire un bilan linguistique en reparcourant, dans une approche diachronique et synchronique, la géographie de l’italien en Afrique.

AUTRES PUBLICATIONS DE L’AUTEUR 

■ Siebetcheu R., 2009, La diffusione dell’italiano in Africa: prospettive di ricerca (La diffusion de l’italien en Afrique: Perspectives de recherches) dans SILTA, XXXVIII, 1, pp. 147-191.

■ Siebetcheu R., 2010, La lingua italiana in Africa, (La langue italienne en Afrique) dans  « Fondazione Migrantes, Rapporto Italiani nel mondo 2010 », Idos, Roma, pp. 142-153.

■ Siebetcheu R., 2010, L’insegnamento dell’italiano in Africa. Una prima indagine, (L’enseignement de l’italien en Afrique: une première enquête) dans  Mezzadri M. (a cura di), Le lingue dell’educazione in un mondo senza frontiere, Guerra, Perugia, pp. 259-267

■ Siebetcheu R., 2010, La diffusione dell’italiano nello spazio sociolinguistico africano, (La diffusion de l’italien dans l’espace socio-linguistique africain) dans Garzelli B., Giannotti A., Spera L., Villarini A., Idee di spazio, Guerra, Perugia, pp. 217-227.

■ Siebetcheu R., 2010, Educazione linguistica in Africa. Verso un quadro comune africano di riferimento per le lingue? (Education linguistique en Afrique. Vers un cadre commun africain de référence pour les langues?) dans Autori Vari, Glottodidattica giovane 2011. Saggi di 20 giovani studiosi italiani, Guerra, Perugia, pp. 183-191.

■ Siebetcheu R., 2011, Africa (Afrique) dans Vedovelli M. (a cura di) Storia linguistica dell’emigrazione italiana nel mondo, Carocci, Roma, pp. 477-509.

■ Siebetcheu R., 2011, Storia linguistica della colonizzazione italiana nel Corno d’Africa, in Fondazione Migrantes, Rapporto Italiani nel mondo 2011, pp. 143-152.

Propos recueillis par

Milton Kwami

 

 

ITALIE – Quand le maire Ivo Moras (Brugnera) niait la nationalité italienne à qui ne sait pas l’italien

Vous dormez avec le ventilateur en marche? C’est une mauvaise idée