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MARGUERITE ABOUET: Grande bédéiste ivoirienne de succès – Créatrice de la saga « Aya de Yopougon »

Bande dessinée de grande destinée!  

« Aya » est une success-story d’une jeune fille de 19 ans qui vit à Abidjan, la capitale ivoirienne, plus précisément dans le quartier de Yopougon (Yop-City). Elle souhaite devenir médecin. C’est un récit qui commence en 2005, avec la sortie du premier tome et gagne le Premier prix du meilleur 1er album au Festival d’Angoulême.

Puis les différents tomes se succèdent jusqu’à arriver aujourd’hui au 6ème, qui clôture la série, ouvrant les portes au projet de réalisation d’un film. «Aya de Yopougon», c’est 450.000 tomes publiés pour les 5 premiers albums et la traduction en 15 langues. C’est une BD qui représente l’Afrique sous un jour des plus positifs. Votre journal Africa Nouvelles a rencontré Marguérite Abouet, à la présentation du 6ème tome d’Aya de Yopougon, au Centre Culturel Français de Rome, au cours d’une rencontre guidée et modérée par Mélanie Marchand.

 

 

Mélanie Marchand: Comment ça t’est venu de vouloir raconter des histoires. Quelle est l’origine de ce projet?

Marguérite Abouet: Moi même ce succès me tombe dessus. Je n’en reviens toujours pas. On n’a que des voyages dans plusieurs endroits, au cours desquels je rencontre des gens qui viennent m’entendre parler. Je suis émue à chaque fois. Comment ça a commencé? Moi je ne suis pas littéraire. Je n’avais aucune intention de faire de la BD. Moi ce que j’aimais faire, c’est raconter les histoires. A force d’en raconter aux enfants que je gardais quand j’étais plus jeune, les parents eux-mêmes me disaient à chaque fois: «Mais Marguérite pourquoi est-ce que vous n’écrivez pas, parce que vos histoires sont drôles».
En fait, au départ je racontais mes souvenirs de Yopougon. Je suis partie de la Côte d’Ivoire, à 12 ans et en plus un peu malgré moi. J’étais un peu Akissi, la petite sœur d’Aya. Dans ce quartier, je jouais au foot, je traumatisais un peu les gosses des voisins. J’avais mon grand-oncle qui était médecin en France qui venait chaque fois en vacances; il me voyait traîner dans la rue et il ne comprenait pas pourquoi. Il disait à mes parents qu’à Paris ça ne se passe pas comme ça. «Elle va mal finir si elle reste encore à Yopougon».
C’est ainsi qu’il a proposé à mes parents de me faire venir à Paris. Et j’avoue que je ne comprenais pas pourquoi ils étaient tous contents et surtout qu’étant la dernière de trois enfants, on  me laissait partir comme ça partir loin. J’ai donc beaucoup pleuré surtout pensant à certaines histoires qui se racontaient sur la France. Comme par exemple qu’il faisait tellement froid que les pipis gelaient sur place, ce qui fait que quand on était dans les toilettes, il fallait casser le pipi pour pouvoir sortir.
Ou que les Français vivaient avec des ours pour se couvrir la nuit. Ou encore que dans la journée, ils se baladaient avec des bâtons pour chasser les loups.
Je me sentais donc très malheureuse pendant que tout le monde autour de moi était content.

Mélanie Marchand: Comment ça a été alors le départ de Yop-City?

Marguérite Abouet: Avant de partir, je suis allée saluer tous les voisins et chacun avait quelque chose à me dire ou à me demander. Il y avait par exemple  des tanties qui disaient «là-bas est-ce que tu peux me trouver un blanc» ou des tontons qui voulaient des pains au saucisson. Et je me souviens d’une copine qui m’a disait: «Mais pourquoi tu pleures? Tu vas rencontrer ton amoureux Rahan». Je me suis dit «Bêh oui effectivement je vais peut-être voir Rahan». En fait, on était toutes amoureuses de Rahan. Il était beau, pas très couvert aussi (!) et il avait un couteau. Et c’est avec cette phrase de réconfort de ma copine que j’ai donc pris l’avion.

Mélanie Marchand: Quel a été l’impact de la petite go* de Yop-City que tu étais, avec Paris et la France?

Marguérite Abouet: J’arrive à Paris, il n’y avait pas de Rahan, les gens étaient habillés et il ne faisait pas froid: c’était un 30 août! Je suis entrée en classe de sixième et j’étais tellement triste d’avoir été enlevée de mon pays. J’ai toujours voulu garder cette partie de moi et il me fallait raconter ce que je faisais tout simplement quand j’étais là-bas.
Et c’est comme ça que j’ai commencé avec les enfants, d’abord avec ceux qui étaient dans ma classe. Pour me faire accepter,  je leur disais que je chassais les lions avec mon grand-père, je leur montrais d’ailleurs mes « cicatrices de serpent ».
J’étais une grande star aussi et comme je jouais également au foot, tous me voulaient dans leur équipe. J’avais donc beaucoup de succès et tout le monde venait me voir pour que je leur raconte des histoires. Et moi je les contentais, parfois j’en ai beaucoup inventées. C’est donc comme ça que tout a commencé.

Mélanie Marchand: Quand est-ce que tu t’es donc mise à écrire?

Marguérite Abouet: En fait, l’écriture est venue plus tard. A 16 ans, j’avais une chambre de bonne et j’étais tellement contente de l’avoir. J’avais une vieille télé, donnée avec cette chambre; elle était tellement vieille qu’elle mettait deux heures pour s’allumer, ce qui fait que j’avais jugé bon de ne plus l’éteindre. Mais zut! Un soir, en pleine nuit, cette télé explose et je me suis retrouvée donc orpheline de ma boite de compagnie et je n’avais pas les moyens d’aller au cinéma ou autre. J’ai commencé à écrire.

En fait l’écriture ce n’est pas une passion, c’était une thérapie pour moi, une manière de ne pas devenir folle dans ces quatre murs. J’ai commencé à mettre mes souvenirs sur papier et puis j’y prenais goût. Tout ce qui m’arrivait dans le métro, les histoires que j’entendais, j’arrivais et j’écrivais. J’en ai tartinées de pas mal aussi. Voilà donc comment j’ai commencé à écrire.

Mélanie Marchand: Malgré le titre, «Aya de Yopougon», que tu as définie auto-fiction, n’est pas seulement l’histoire d’Aya mais celle de toute une communauté. Tu dis être plutôt Akissi mais dans quelles parts d’Aya tu t’identifies?

Marguérite Abouet: Oui, Aya c’est une auto-fiction, ce n’est pas vraiment elle l’héroïne de cette histoire mais il fallait un fil conducteur. Je dis souvent qu’Aya, c’est mon Tintin à moi. En fait, le héros de cette BD, c’est Yopougon, un quartier où il faut vraiment aller et dont on entend beaucoup parler parce que quand ça chauffe, ça vient de Yopougon. C’est un quartier d’un million de personnes, une petite ville dont les trois quarts sont des jeunes de moins de 18 ans.

Mélanie Marchand: A quelle période est située la BD «Aya de Yopougon»?

Marguérite Abouet: Je situe mon roman vers la fin des années 70. C’est fait exprès parce que je ne pourrais pas inventer. C’est un parti pris car je ne parle pas des guerres du sida. Moi j’ai eu cette chance de vivre à Yopougon en ce moment-là parce que c’était ouvert, c’était des petites maisons avec de grandes ruelles où on entrait un peu chez les voisins comme on voulait. Ce n’était pas comme aujourd’hui où ça a beaucoup changé: la population a triplé et les gens sont devenus beaucoup plus pauvres.
Ce n’est plus le même Yopougon que j’ai quitté mais ce qui reste c’est encore cette solidarité, cette ambiance et tous ces maquis où on danse , on boit et il y a un mélange de toutes les religions.

* fillie en nouchi (argot ivoirien)

Milton Kwami

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