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BURKINA FASO: Yamba Malick Sawadogo – L’homme qui a enterré Sankara

Vérité à… creuser? 

La radio et la télévision nationales du Burkina n’émettent plus. Des armes crépitent depuis quelques heures à Ouagadougou. La nouvelle se répand très vite comme une traînée de poudre: un coup d’Etat contre la Révolution vient d’être perpétré. Plus tard, on apprend que le président du Faso, Thomas Sankara, héros de la Révolution, a été abattu avec douze compagnons d’infortune. La nuit, le régisseur de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) désigne au sein du pénitencier 20 hommes de corvée pour enterrer les suppliciés. Parmi eux, Yamba Malick Sawadogo, ancien député de l’UNIR/PS, sankariste de longue date et aujourd’hui militant du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Dans cette interview inédite qu’il nous a accordée le 27 mai 2015, le récit de ce témoin oculaire tranche bien avec la kyrielle de fables racontées çà et là sur le sujet.

  

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Vous qui êtes un sankariste de longue date, après 27 ans d’attente, le dossier Sankara vient d’être relancé; quel effet cela vous fait? 

J’en suis très satisfait pour deux choses: d’abord le fait d’avoir chassé Blaise Compaoré après 27 ans de pouvoir que nous tenons comme l’assassin, jusqu’à nos jours, et ensuite l’ouverture du dossier Thomas Sankara et l’exhumation des restes. Après tout ce temps, je suis content de pouvoir vivre ça en live comme on le dit. Je ne pensais pas pouvoir un jour assister à ça. Dieu merci, je suis en vie et j’ai même été entendu par le juge. Je lui ai dit que je suis soulagé de pouvoir dire tout avant ma mort.

A ce qu’on dit, vous êtes l’un de ceux qui ont enterré les suppliciés du 15 Octobre. Comment vous êtes-vous retrouvé là ce jour fatidique? 

C’est toujours difficile d’évoquer cette situation, mais j’ai malheureusement participé aux évènements du 15 Octobre d’une manière ou d’une autre. Comme je vous le disais tantôt, j’ai été entendu le 13 mai passé sur le sujet par le juge d’instruction militaire, et vous savez très bien que le dossier est en cours d’instruction ; permettez-moi donc de ne pas entrer dans certains détails afin de respecter le secret de l’instruction. Cela étant, j’étais en prison puisque j’ai été condamné aux 18e assises des Tribunaux populaires de la révolution (TPR), et j’ai purgé ma peine ; par la suite j’ai été blanchi. Le 15 octobre 1987, le chef de poste qui était là ce jour à la MACO nous a fait savoir que le régisseur, qui était certainement au Conseil, a demandé qu’on lui prépare 20 corvéables, des hommes de corvée comme on dit souvent. Vers 20h, il est venu avec un véhicule de type VLRA (Véhicule léger de reconnaissance et d’appui) avec un chauffeur qui nous a embarqués jusqu’au Conseil. On ne savait pas trop ce qui pouvait nous arriver ce jour -là au départ, mais on ne s’en inquiétait pas. Au fur et à mesure que nous avancions, nous avons compris que l’heure était grave. De la MACO nous avons été au Conseil de l’Entente, et là- bas, il y avait un autre VLRA qui nous attendait. Certains d’entre nous sont descendus prendre le matériel de creusage (pelles et pioches) et on est parti pour le cimetière de Dagnoën avec deux VLRA. Je précise que nous sommes allés au cimetière sans les corps. C’est quelque temps après qu’un des véhicules est reparti avec quelques-uns de nos camarades ramasser les corps. Certains d’entre nous ont sur place, comme moi, connu le nombre des corps et su qui ils étaient : le président Thomas Sankara en faisait partie. D’abord, on nous a dit de creuser 10 tombes, et lorsque les corps sont arrivés, on nous a fait creuser 3 tombes supplémentaires. C’est pourquoi au cimetière vous constaterez que les 10 premières tombes sont alignées, suivies de 2 autres puis d’une dernière.

Dans quel état étaient les corps? 

Identifiables quand même. Parce qu’après, nous avons entendu par-ci par-là que telle ou telle personne a été déchiquetée, mais ce n’est pas vrai ; les suppliciés étaient tous identifiables. Il y en a un qui a perdu un œil. Ils étaient tous identifiables, même Thomas Sankara et surtout lui, on dirait qu’il dormait, l’image me hante encore, c’est pourquoi je dis qu’il m’est difficile de revenir sur cette affaire. Mon mutisme jusque-là était dû à trois raisons principales : d’abord, je tenais à rester en vie pour pouvoir être utile comme je l’ai fait le 13 mai dernier ; ensuite, chaque fois que j’évoquais cette situation, elle me révoltait davantage, et je n’arrivais pas à me contenir. C’est pourquoi certains me prenaient pour un fou ; enfin, le besoin de justice, parce qu’on avait demandé l’ouverture de la tombe, et si à l’époque l’un d’entre nous qui étions là-bas avouait publiquement qu’il y était, la justice pouvait se servir de cela pour dire que ce n’était plus la peine d’ouvrir les tombes, puisque il y a eu des aveux dans ce sens.

Revenons aux corps. Vous qui les avez vus et dites qu’ils étaient identifiables, c’est à quelle partie Thomas Sankara a-t-il été touché? 

Je ne suis pas technicien, mais je pense personnellement que le président du Faso a été touché à la poitrine parce qu’il était habillé en survêtement rouge, et le sang étant de couleur rouge aussi, on ne voyait pas très bien. Il fallait le toucher pour savoir qu’il était maculé de sang. C’est terrible ce que je vous dis, il était couché comme s’il dormait, les poings fermés et la bouche bée comme s’il voulait passer un message. C’est cette image qui m’est restée et qui me choque jusqu’à présent. C’était comme s’il voulait dire «continuez, continuez rien que le combat». Quand j’entends dire après qu’il a été déchiqueté, je dis non, il y a beaucoup d’exagération. A ceux qui disent que ce ne sont pas les suppliciés du 15- Octobre qui sont au cimetière de Dagnoën, que Thomas n’y est pas, je réponds que nous, en tout cas, les avons tous enterrés là-bas. Ils ont été enterrés sous le couvre- feu, nous sommes repartis sous le couvre-feu et ce qui a pu se passer par la suite, je n’en sais rien. Le 16 octobre, on m’a fait revenir au Conseil, et j’ai suivi durant de longues heures les mouvements qui s’y déroulaient. J’ai eu le sentiment que ces gens étaient plus préoccupés par d’autres choses qu’à aller déterrer des cadavres. Il y avait trop de mouvements le 16 au sein du Conseil. On a d’ailleurs failli nous canarder quand on revenait de la MACO. Le régisseur a échangé avec le chef de poste, je ne sais pas ce qu’ils se sont dits, mais nous avons entendu: «feu!» Heureusement que le régisseur a sauté rapidement du véhicule et a dit: «mon sergent, ne fais pas ça!». C’est certainement ce qui nous a sauvés. En dehors de ça la tension était bien perceptible. Et cette histoire d’alliance que l’on aurait retirée du doigt du Président du Faso. Un des détenus a effectivement enlevé la bague, et cela fait aussi partie des images qui me choquent. Dès que le détenu lui a retiré l’alliance, il lui a refermé le poing, et c’était comme s’il n’était pas mort. C’est terrible hein ! et il faut le vivre pour comprendre.

Qui est ce détenu? 

Je ne sais pas. Parce que nous ne sommes plus nombreux; moi, je ne connais qu’une seule personne toujours en vie, et c’est elle qui avait plus de lien avec eux. C’est d’ailleurs lui qui avait dressé la liste des 20 hommes de corvée que j’ai évoquée plus haut. Le régisseur aussi est décédé, mais on avait gardé le contact. 

On a appris que la bague en question a été vendue à une personnalité; qu’en savez-vous? 

C’est ce que nous avons aussi appris au sein de la prison, mais comme il était trop risqué de s’intéresser à ce sujet, personne n’a voulu en savoir davantage. 

Vous pensez que la bague est restée avec le détenu?

Non, je ne pense pas, mais je ne saurais dire à qui il l’a remise exactement. Vous qui avez creusé les tombes, attestez-vous que la tombe de Thomas Sankara ne dépassait pas une profondeur de 45 cm comme l’a déclaré Me Sankara qui a assisté à cette opération d’exhumation? C’est possible. Tout ce que je sais, c’est que la tombe de Thomas Sankara était plus profonde que les autres. Si la tombe du Président du Faso ne dépassait pas 45 cm, cela veut dire que les autres n’atteignaient pas cette profondeur. Je peux attester de cela au moins. Les gens se demandaient si Sankara était effectivement parmi les victimes, y compris les quelques rares militaires qui étaient avec nous, à savoir le régisseur et les 2 chauffeurs de VLRA. Eux-mêmes se posaient la question de savoir si Thomas en faisait partie lorsque les corps n’étaient pas encore arrivés au cimetière. Certains avançaient même qu’il était hors du pays, mais lorsqu’on a su qu’il faisait partie des morts, il y avait comme un froid très glacial au cimetière. Et chacun des détenus a tenu particulièrement à creuser sa tombe, qui avec une pioche, qui avec une pelle. Vous devinez quand même que 20 personnes pour creuser 13 tombes dans une période de couvre-feu, ce n’était pas facile. Je n’en ai pas mesuré la profondeur, mais si on parle de 45 cm, c’est bien possible. La tombe la plus profonde a été affectée au corps de Thomas Sankara, et ça il n’y a aucun doute là -dessus. 

Dans quelles conditions ont-ils été ensevelis ? Certains racontent qu’ils ont été enterrés dans des sacs de jute 

Ce n’est pas vrai ; ils ont été mis comme ça directement dans les tombes. Vous savez, les détenus ont leur manière d’enterrer, il n’y a pas eu de sacs de jute ou de carton, non… non ce n’est pas du tout vrai.

20 personnes pour creuser 13 tombes, c’est dire que les choses n’ont pas été faites dans les règles de l’art. Est-ce que les trous ont pu contenir tous les corps? 

Si… Si… Le problème, ce n’était pas la longueur mais la profondeur. Les longueurs ont été respectées. Le régisseur avait peut-être initialement pensé à une fosse commune, et quand nous lui avions posé la question à ce sujet, il avait hurlé: «Creusez! Creusez!» avant de se raviser pour dire dans un premier temps 10 sépultures et d’y ajouter 3 un peu plus tard. C’est lui-même qui a écrit les noms des victimes sur des bouts de papier pour les fixer sur les tombes. Il écrivait sous la lumière des phares de VLRA, et avec sa torche de poche, il a identifié tout le monde parce qu’il les connaissait tous.

Ce jour-là, en dehors du régisseur et des deux chauffeurs, est-ce qu’il y avait des chefs militaires au cimetière avec vous? 

Il n’y avait personne d’autre. Il y avait au cimetière précisément 20 détenus et 3 militaires, le régisseur et les deux chauffeurs de VLRA. Et le plus gradé, c’était le régisseur, un sergent-chef, Tapsoba Karim. 

Vous confirmez donc que la sépulture qui a été ouverte le 27 mai dernier est bien celle de Thomas Sankara? 

Je dis et je répète qu’il a été enterré là-bas et je peux le certifier. Mais ce qui s’est passé par la suite je ne saurais vous le dire; je ne suis pas gardien de cimetière, mais je pense que ces gens- là n’y sont plus repartis déterrer les cadavres. Ils sont venus nous chercher autour de 20h, et nous avons fini de creuser les tombes et d’enterrer les 13 corps entre 3 et 4 heures du matin. Je me souviens aussi que les chiens aboyaient fortement autour du cimetière, et le silence du couvre-feu aidant, les aboiements se rapprochaient de plus en plus. A la fin, certains codétenus sont allés dans les maisons qui étaient en face du cimetière chercher de l’eau pour que nous puissions laver nos mains qui étaient tachées de sang. C’est pour cela d’ailleurs que certains riverains ont pu soupçonner qu’il se passait des choses-là, sinon ils n’ont pu s’approcher des lieux. 

Il y en a qui ont dit que le lendemain, 16 octobre, il y avait des parties de corps qui étaient visibles.

J’avoue que je ne suis pas reparti là-bas le matin, mais il semble que les gens s’y soient rendus en masse pour voir les tombes, et dans ces conditions il se pourrait qu’on ait marché sur elles au point que certaines parties des corps des victimes aient été déterrées parce que ce n’étaient pas des tombes normales avec des dalles. J’ai même appris qu’on y a amené de la terre pour mieux couvrir les corps ; je n’en sais rien, mais tout ce que peux dire c’est que tous les corps ont été ensevelis. 

Vous êtes donc un des témoins privilégiés de cette opération au cimetière de Dagnoën, si bien que vous avez été entendu par le juge d’instruction. Sans trahir le secret de l’instruction, quel genre de questions vous ont été posées? 

En dehors des questions plus techniques, ce sont à peu près les mêmes questions que vous me posez. Je suis toujours à la disposition de la justice, et je souhaite voir un jour le jugement de ce dossier. 

Pour avoir participé à cette opération d’enterrement, est-ce que vous avez bénéficié d’une remise de peine? 

Non, pas du tout. Chaque année il y avait des remises de peine, et on privilégiait certains détenus condamnés par les tribunaux populaires ; c’est dans ce cadre que j’ai bénéficié d’une remise de peine d’un mois alors que je purgeais une peine de douze (12) mois. C’est ainsi que j’ai été libéré en décembre. Au lieu d’une faveur quelconque, j’ai plutôt senti que j’étais filé, et je faisais attention à tout. Dieu merci, j’ai pu déjouer les pièges et je suis toujours en vie. 

Vous avez été condamné par les TPR, mais vous ne vous êtes pas détourné de la Révolution? 

Je suis passé aux 6e assises de Ouagadougou au moment où il y avait la crise latente au sein du CNR. Et à l’époque, Blaise Compaoré, qui préparait activement sa chose, n’aimait pas ceux qui étaient proches de Thomas, et tous les moyens étaient bons pour les mettre à l’écart, donc on m’a accusé d’avoir détourné deux millions en tant que chef d’agence d’Air Burkina. Il y a pas mal de personnes qui ont été enfermées, mais elles sont restées révolutionnaires. Comme on le dit en mooré «un couteau tranchant n’épargne pas quelquefois son fourreau». Cela dit, je suis devenu un homme révolté par ce que j’ai vu. C’est ce qui fait que, durant toute ma carrière, je n’ai rencontré Blaise que deux fois: une première fois avec le groupe du 14-Février, et la deuxième avec le Collectif. Bien qu’étant un élu du Kadiogo, Je boycottais systématiquement les rencontres présidées par lui et /ou sa femme. Même si je n’ai de haine contre ce monsieur, c’est tout comme.

Mais aujourd’hui vous êtes dans un parti dont les principaux responsables ont contribué à exacerber la crise entre les leaders de la Révolution, et certains ont été les piliers du régime Compaoré ; qu’est-ce qui justifie une telle position? 

Il faut restituer les choses dans leur contexte. Au moment où je combattais Blaise Compaoré, je mettais dans le même sac tout son entourage; ça, c’est connu, tout le monde le sait, mais à un moment donné, la lutte s’est affaissée, et lorsque ceux qui étaient avec lui se sont mis dans la danse, je n’ai pas hésité à les rejoindre parce que ceux qui habitent la maison savent par où elle coule. Vous savez que le MPP a contribué grandement à la fuite de ce monsieur. Je l’ai dit et je le répète, même si c’était Chantal qui était contre Blaise, je me serais mis derrière elle. Je ne suis pas allé au MPP pour des postes, la preuve est que je ne suis candidat à rien.

A l’UPC par exemple, vous auriez aussi contribué à chasser …

Ecoutez, je ne suis pas un novice de la lutte politique, et je sais que ceux qui ont installé Blaise pouvaient le chasser. Salif Diallo a dit qu’il allait chasser Blaise et il l’a fait. Vous, journalistes, vous le savez bien, seulement vous voulez me tendre des pièges. 

Il y a des sankaristes comme Boukari Kaboré, dit le Lion, qui ne voient pas l’opportunité d’ouvrir la tombe de Sankara; êtes-vous de ceux-là?

Moi, par contre, je pense qu’il fallait le faire parce qu’il y a eu trop de supputations y relatives. Ce qu’il fallait, c’était prendre les précautions en tant qu’Africain, et peut-être que cela a été fait. Par mon mutisme, je voulais justement qu’on ouvre la tombe pour mettre fin à ces supputations. Je réaffirme que les corps en entier y ont été enterrés pendant le couvre-feu. Mais pour ce qui s’est passé par la suite, je n’en sais rien. 

Stéphane Ouédraogo

& Abdou Karim Sawadogo

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