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ABDERRAHMANE SISSAKO: Le cinéaste franco-mauritanien est le plus en vue du continent africain

Son film « Timbuktu » aux Oscars 2015! 

Abderrahmane Sissako représente aujourd’hui l’espoir du cinéma en Afrique, espoir confirmé par la nomination de Timbuktu pour les Oscars en février 2015.

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Au Festival de Cannes, jusqu’au dernier jour, des rumeurs prédisaient qu’Abderrahmane Sissako deviendrait le troisième réalisateur africain à décrocher la Palme d’or, après l’Algérien Mohamed Lakhdar Hamina en 1975 et le Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche en 2013. Finalement, avec le prix du Jury œcuménique et le prix François-Chalais, son film « Timbuktu » a dû se contenter de deux prix honorables et plutôt confidentiels. Mais cela n’y change rien : grâce à la puissance des histoires qu’il raconte, Sissako est devenu un cinéaste universel.

«Je pleure à la place des autres», murmurait-il, submergé par l’émotion, quand il présentait Timbuktu à Cannes. Ses films sont intimement liés à son existence. Une vie passée entre les pays, les cultures et les continents.

Né le 13 octobre 1961 à Kiffa, en Mauritanie, il grandit au Mali avant de faire ses classes de cinéaste à Moscou, puis de s’installer à Paris pour finalement retourner récemment « au pays », à Nouakchott, là où se trouvent les racines de ses émotions et engagements. La force des émotions et des histoires, il l’a vécue d’une façon très consciente dès sa tendre enfance. Né petit dernier d’une fratrie de 15 enfants, Abderrahmane rêve d’avoir un vélo. Souhait aussi ardent qu’irréalisable, mais le manque d’argent est compensé par le père, un petit câlin qui lui fait tout autant voyager. Plus tard, ce sera sa mère. Pauvre, elle est obligée de raconter des histoires passionnantes à sa voisine pour que son fils puisse profiter de la lumière allumée pour étudier la nuit.

Les films d’Abderrahmane Sissako sont parfois saisissants de vérité, mais jamais larmoyants. Même enfant, il ne versait pas de larmes quand il allait regarder avec sa sœur des mélos indiens dans la salle Soudan Ciné à Bamako. Et surprise, ce sont les westerns Trinita avec Terrence Hill et Bud Spencer qui lui restent le plus gravé dans sa mémoire.

Images, cadrages et émotions

Il a vécu plus de temps en France qu’au Mali ou en Mauritanie, même s’il y est retourné très souvent. Le regard, les images et les émotions transmises par son cinéma sont toujours restés profondément imprégnés de l’ambiance de ses pays d’origine.

De son temps, à l’école du cinéma à Moscou, à l’époque de l’Union soviétique, il a gardé un sens particulier de la réalisation et du cadrage, et de la France peut-être une manière de raisonner. Son père avait fait l’école militaire française de Saint-Cyr pour devenir pilote d’avion avant de retourner au pays en tant qu’ingénieur et finalement se contenter de cultiver du riz dans son village.

Mais quand on demande à Abderrahmane Sissako de se souvenir de l’image qu’il avait en tête quand il a découvert l’Hexagone en 1993, il répond: «Un pays où l’on mangeait trop». 

Son œuvre cinématographique se finance sur le continent européen, mais se construit sur le continent noir. Pour son cinéma, il est prêt à donner et à révéler beaucoup de lui-même. Pour Bamako, présenté en 2006 hors compétition à Cannes, il est retourné pendant deux ans au Mali pour préparer le tournage. Ce film qui a porté au cinéma l’utopie de mener un procès contre la Banque mondiale accusée d’être coupable de la mort de millions d’Africains, se déroule dans la cour même de la famille paternelle où Abderrahmane Sissako avait grandi. Et La Vie sur terre (1998) a déjà été tournée dans le village de son père pour raconter l’histoire d’un émigré revenu au pays.

Le VGIK à Moscou

Fils d’un père malien et d’une mère mauritanienne, il rejoint cette dernière pendant un an à l’âge de 19 ans à Nouadhibou, en Mauritanie. C’est cet épisode de sa vie qui avait inspiré « En attendant le bonheur » (Heremakono), réalisé en 2002 et primé avec le Grand prix-Etalon de Yenenga au Fespaco, en 2003. Un récit qui dépeint les désillusions d’un jeune Mauritanien qui retrouve sa mère dans une minuscule chambre sans électricité.

Avant cette période, le jeune Abderrahmane avait milité à Bamako dans une organisation étudiante mal vue par le régime de Moussa Traoré, qui déclenche alors la répression des émeutes étudiantes. C’est en Mauritanie qu’Abderrahmane commence à fréquenter le Centre culturel soviétique qui lui sert de tremplin pour faire une candidature au VGIK de Moscou, prestigieuse école de cinéma qui avait formé des géants comme Andrei Tarkovski et où Abderrahmane fréquentera l’assistant d’Eisenstein… Il y découvre toute l’histoire du cinéma, à raison de deux films par jour. Au VGIK, il apprend le cinéma comme une langue capable de raconter son continent d’une manière universelle.

C’est au Turkménistan – qui lui rappelle la Mauritanie – qu’il tourne en 1989 son court métrage « Le Jeu » qui lui permettra en 1991 d’assister à son premier festival de cinéma, le Fespaco, à Ouagadougou où Canal+ achète son film. Les 56 000 francs gagnés seront investis dans « Octobre », tourné avec le chef opérateur d’Andrei Tarkovski et accueilli les bras ouverts par la sélection officielle. Un certain regard du Festival de Cannes en 1993. Ce moyen métrage raconte l’histoire d’un amour impossible entre une Russe et un Africain. Et ouvre au jeune Mauritanien définitivement les portes du cinéma et de la France.

Le rythme de l’audace formelle

Chez Abderrahmane Sissako, l’audace formelle et la rigueur du cadre sont exigées par le propos. Le style de ses films repose sur un rythme calme, la confiance dans les images, une écriture cinématographique où les mots ont leur importance, mais où les silences et l’inconscience restent les armes absolues du réalisateur. L’esthétique du Mauritanien qui frôle souvent l’austérité ne parie pas sur le pouvoir du cinéma de transformer le monde, mais espère éveiller les consciences et rendre justice.

Dans plusieurs de ses films, il cite Aimé Césaire, le chantre de la négritude, pour évoquer l’exil, le déchirement entre l’Europe et l’Afrique, la chance du métissage et de l’ouverture culturelle. Avec sa voix douce, il s’est régulièrement défendu d’être le porte-parole de l’Afrique. Néanmoins, avec « Bamako », un film doté de 1,2 million d’euros, il a défié l’ordre mondial. Et il a revendiqué d’avoir donné la parole aux Africains tout en admettant de faire des films pour les Africains.

D’autant plus qu’il se soucie également de la disparition des salles en Afrique et il a aussi produit des films d’autres cinéastes africains. Un engagement commencé en 2002 avec « Abouna », du Tchadien Mahamat Saleh Haroun qui a ensuite fait la carrière qu’on connaît au Festival de Cannes.

« Timbuktu » n’appartient pas au continent africain

L’œuvre de Sissako nous interpelle et nous enseigne que ses histoires ancrées sur la terre africaine sont devenues de plus en plus universelles quand il parle de la destruction du tissu social, des privatisations, des inégalités croissantes, de l’immigration, du rôle de la Banque centrale européenne qui ressemble, pour de plus en plus de pays, au rôle joué par la Banque mondiale: des dirigeants «non-élus» dotés d’un pouvoir décisif qui se réclament d’agir au service de l’intérêt général et d’être «neutre» et «apolitique». Quant à Sissako, il souligne que la cause défendue dans ses films n’appartient pas au continent africain.

« Timbuktu » était son premier film en lice pour la Palme d’or et il a laissé passer huit ans entre ses deux dernières réalisations. Ce n’était pas pour des raisons d’argent, mais plutôt pour prendre soin de ses deux filles nées entretemps, «c’est aussi important ou peut-être plus important que de faire un film», confiait-il.

Avec « Timbuktu. Le Chagrin des Oiseaux », il avait visiblement envie de crier sa colère contre l’islam des jihadistes et de transmettre certaines valeurs aux générations suivantes. Inspirée d’une actualité sinistre – un jeune couple lapidé en juillet 2012 pour avoir eu des enfants hors mariage – son œuvre est devenue une hymne à l’islam de la tolérance, à la liberté des hommes et des femmes. Tourné dans le plus grand secret en Mauritanie, à Oualata, la ville de ses grands-parents paternels, près de la frontière malienne, le film raconte l’histoire d’une famille au nord du Mali lors de l’arrivée des jihadistes.

Un récit emblématique sur l’enjeu historique de cette «ville aux 333 saints» devenue le symbole d’une ville martyre depuis la destruction des lieux sacrés par les islamistes en 2012. Aujourd’hui, encore plus que la ville Tombouctou, c’est le film Timbuktu qui témoigne de l’enjeu de cette lutte contre l’obscurantisme pour le monde entier. Une histoire africaine devenue universelle.

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