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RIDHA KHOUINI: Plus qu’un témoin, ce parolier est… la mémoire vivante de la musique tunisienne! (Interview)

La voix du Maitre!

Mémoire vivante de la chanson tunisienne dont, avec quelques autres, il a confectionné la base et l’ossature depuis plus de soixante ans, Ridha Khouini a toujours été la référence vers laquelle reviennent compositeurs, artistes de tous bords et historiens pour une précision, une information ou un avis quelconque.

altIl a côtoyé 7 générations d’artistes et écrit pour elles la bagatelle de… plus de 3000 chansons qui, avec maintes fictions radiophoniques, feront l’objet d’ouvrages à paraître dans les mois qui viennent.

Né il y a 74 ans à la rue Dar El Bacha, dans la Médina de Tunis, dans une famille de grands mélomanes (son frère, Hamadi Khouini, était un grand violoniste), il se découvre à… 11 ans, un don pour les paroles de chansons. Il ne tarde pas à attirer l’attention sur lui et, déjà à 15 ans, il se fait fort d’écrire successivement pour… Ali Riahi, Mohamed Sassi, Hana Rached, Habib Chérif…

A partir de 1952, une vague d’émigration va porter pour la France de nombreux juifs tunisiens dont des chanteurs-compositeurs tels Kahlaoui Tounsi, Kakino de Paz, Albert Pérez et Raoul Journou. Pour avoir écrit pour eux, son nom est régulièrement mentionné sur les ondes des radios françaises. A 22 ans, il rejoint, à Paris, sa clique le met en contact avec André Amy, directeur de Radio France. Commence alors pour lui le vrai travail de parolier : il écrit une bonne soixantaine de chansons pour ses «amis» de Tunis mais aussi pour des juifs algériens. Notoriété et célébrité se conjuguent pour le consacrer l’une des grandes figures de la chanson tunisienne.

D’ailleurs, à la Radio tunisienne, il forme avec Hamadi Béji et Abdelmajid Ben Jeddou les trois piliers de la station. Aussi, tout le monde passe-t-il par les paroles de Ridha Khouini : Ali Riahi, évidemment, mais également Fethia Khaïri, Oulaya, Naâma, Zouhaïra Salem, Narymane, Soulef, Nourhène, Najet Samir et, un peu plus tard, Hédi Jouini, Hédi Mokrani, Mustapha Charfi, Youssef Témimi, Ahmed Hamza, Ismaïl Hattab (une seule chanson pour les besoins de la série Guefla t’sir) et… Hédi Habbouba (plus de 80% du répertoire de celui-ci). Par conséquent, ont composé sur ses paroles d’innombrables musiciens, dont Salah Mehdi, Abdelhamid Sassi, Chedly Anouar, Maurice Mimoun, Mohamed Ridha, Ali Chalgham, Ouannès Kraïem, Abdelaziz Jemaïl, Kaddour Srarfi, Ridha Kalaï, Tahar Gharsa et jusqu’à Adnane Chaouachi, Lotfi Bouchnaq, Zied Gharsa…

En qualité de producteur, il a de 1989 à 1999, écrit 25 fictions radiophoniques sous l’intitulé De la vie des gens. Pour la Télévision tunisienne, il a produit avec Fethi Zghonda, 34 épisodes de la série Mélodies du patrimoine, après avoir collaboré, de 1992 à 1994, en tant que visionneur des programmes artistiques et littéraires.

Ridha Khouini est l’un des fondateurs, en 1968, de l’Association tunisienne des compositeurs et paroliers ; l’un des fondateurs de l’Etablissement des droits d’auteurs; membre de l’Union des poètes populaires fondée par M’hammed Marzouki ; secrétaire général de l’Union des auteurs fondée par le Dr Salah Mehdi en 1971 ; il a été parmi ceux qui ont fondé, en 1987, le Festival de la chanson tunisienne ; membre depuis trente ans de la commission de lecture à la Radio tunisienne; membre permanent de l’Union de la francophonie ; membre sociétaire professionnel à la Sacem (France) ; membre du Syndicat national des auteurs-compositeurs français depuis 40 ans ; et membre de la Mutuelle des artistes de la Sacem. Les chansons de Ridha Khouini passent sur les ondes de quelque 40 chaînes radio à travers le monde.

Vous avez connu sept générations d’artistes. Quelle évolution a connue la scène artistique, selon vous?

Evolution?… Je dirais plutôt : dégradation. Elle se situe à deux niveaux. D’abord, l’abandon de l’identité tunisienne : les jeunes de la nouvelle génération ont tendance à composer selon un modèle oriental pur et simple, et c’est un échec. Innover est, certes, une bonne chose, mais encore faut-il être un peu soi-même, ne pas s’ignorer.

Le génie d’Ali Riahi, par exemple, est d’avoir su mêler dans sa musique, tunisien et oriental. Résultat : ses chansons sont toujours là, prisées et toujours demandées. Idem au niveau des paroles : parfois, le texte est un cocktail tuniso-égypto-libano-syrien, ou bien moderne et bédouin à la fois. Jadis, il y avait des écoles : Ahmed Ezzaouia, en l’occurrence, était porté sur le «bédoui», et ceux qui voulaient ce genre ne pouvaient que s’adresser à lui, pas à quelqu’un d’autre. On ne peut pas être tout à la fois, cela génère un travail bâtard.

Sur sept décennies, laquelle considérez-vous être la plus prospère?

Deux, à vrai dire. La première est celle qui a suivi tout juste l’Indépendance, de 1957 à 1967. C’était l’époque des grands compositeurs, des grands paroliers et des grands musiciens aussi. Notre premier souci n’était pas tant l’argent, mais celui de conserver le patrimoine tunisien. A Khémais Tarnène était dévolue la direction de l’orchestre de la Radio, et à Tahar Gharsa la tâche de la reprise et la conservation du malouf tunisien.

C’était aussi la période du grand retour, celui des Tunisiens partis en France et qui avaient enrichi la composition du premier orchestre de la Radio, scindé en deux troupes : une pour l’enregistrement du malouf et du classique, l’autre pour l’enregistrement des chansons contemporaines (de l’époque). La deuxième décennie, à partir de 1967, a connu pour grands noms Abdelhamid Sassi, Chedly Anouar, Ahmed Kalaï, Mohamed Ridha, etc. C’était la période la plus prospère. A partir de 1987, il y a eu de nouveaux chanteurs et de nouveaux compositeurs —fort aidés et soutenus par les Abdelhamid Belâlgia, Ali Sriti, Salah Mehdi…— qui ont pris la relève avec plus ou moins de succès.

Or, la scène artistique a connu deux grandes calamités: la disparition de la Troupe nationale de musique sous la direction de Abderrahmane Ayadi, et de la Troupe des arts populaires ; puis, la mort de la direction de la musique de l’Ertt avec le décès du maestro Abdelhamid Belâlgia.

Quel est, à votre goût, le compositeur que vous considérez être le meilleur de tous?

Il n’y a pas qu’un, mais plusieurs. Je citerais Mohamed Saâda, Ali Chelgham, Chedly Anouar, Salah Mehdi, Hédi Jouini, Ali Riahi, Abdelhamid Sassi… Ceux-là ont beaucoup donné à la chanson tunisienne.

Mais le meilleur selon vous?

Celui que je placerais en tête, mais qui est malheureusement décédé à un âge relativement jeune (50 ans) est, évidemment, Abdelhamid Sassi. Si seulement il était resté en vie juste 20 ans de plus, il aurait donné davantage et mieux. Car c’est lui qui a opéré un tournant pour la chanson tunisienne, il était un rénovateur en ceci qu’il l’a modernisée, notamment au niveau du rythme. C’était une école qu’ont par la suite suivie Mohamed Ridha et Chedly Anouar, entre autres.

Parfois, des voix s’élèvent pour accuser Salah Mehdi et Mohamed Triki d’avoir, en leur temps, écarté de la scène certains compositeurs et chanteurs. C’est vrai?

C’est complètement faux. Au contraire, ils ont beaucoup encouragé les jeunes, que ce soit des compositeurs ou des chanteurs. Ne peuvent prétendre cela que ceux qui n’avaient aucun don, aucun niveau, aucune présence, ou dont l’œuvre ne présentait aucun intérêt. Ceux-là, oui, ils étaient, en quelque sorte, écartés. Mais malgré tout, Belâlgia était là pour les orienter, les conseiller, les inviter à se corriger, à se rattraper, à s’améliorer pour tout dire.

Vous avez écrit pour l’art populaire et pour la chanson, disons «citadine». Où réside la différence au niveau du texte?

C’est une question de sensibilité. La chanson populaire, ou dialectale, a souvent des images beaucoup plus savoureuses, expressives et profondes que celles de la chanson ordinaire, voire le qassid. Le genre dit populaire se distingue par sa sincérité, sa spontanéité ; il dit exactement ce qui est en lui, sans fioritures ; alors que le genre habituel, ou classique, est soumis à des règles et même un vocabulaire parfois assez recherché, il est strict, non relâché. Chebbi et Smadeh étaient aussi sincères, mais il leur fallait parfois un an pour venir à bout d’un qassid : il fallait mettre chaque mot à la place qu’il fallait. Cela dit, chaque genre a son importance, son charme, le registre qui est le sien, et son organisation au niveau du rythme et de la composition.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres paroliers?

C’est au niveau de l’architecture de la chanson. Par exemple, Hamadi Béji, Abdelmajid Ben Jeddou et Ibn El Ouaha étaient restés assez classiques. Or, les Abdelhamid Sassi, Mohamed Saâda et Belâlgia m’ont poussé à changer l’architecture du texte : au refrain, j’ajoute une réplique. J’ai emprunté les structures du malouf pour innover quelque peu, et cela depuis déjà les années 1970.

Que pensez-vous de la nouvelle génération de paroliers?

Ces jeunes, parus dès 1981-1985, ont su, pour quelques-uns d’entre eux, assurer la relève, alors que d’autres n’ont franchement pas émergé du lot. Certains ont rénové le texte de la chanson, c’est une bonne chose dans la mesure où ils ont fondé le renouveau de la chanson tunisienne. C’est un acquis, en attendant qu’ils persévèrent avec le temps et feront encore mieux leurs preuves. Tous les autres disparaîtront avant terme.

Trouvez-vous que les droits d’auteur sont respectés dans notre pays?

Je ne le pense pas. Quand je vois toutes ces nouvelles stations radio et toutes ces nouvelles chaînes de télévision complètement libres de diffuser à longueur de journée les chansons des uns et des autres sans se soucier le moins du monde des droits d’auteur, je me demande qui va sauvegarder nos droits et nous assurer des revenus légitimes et, pour nombreux parmi nous, salutaires. Je m’étonne d’ailleurs, qu’exception faite de «Mosaïque FM», aucune des nouvelles chaînes radio ou TV n’ait signé une convention avec l’Office tunisien de protection des droits d’auteur, ce qui doit être, normalement, une condition préalable à l’autorisation de diffuser le produit des musiciens.

S’il vous était demandé un conseil pour les jeunes paroliers, que leur diriez-vous?

Avoir le don avant toute chose. C’est quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas. Ensuite, la maîtrise des techniques, dont la principale reste le rythme, la cadence de la chanson. Puis, prendre connaissance des œuvres de leurs prédécesseurs pour savoir où aller, comment y aller. Enfin, être modeste et respectueux. Parfois, je lis sur les journaux que tel jeune, encore débutant, s’attaque déjà à ses prédécesseurs qu’il ne se gêne même pas d’insulter. C’est une très mauvaise chose, d’autant que cela rabaisse l’intéressé aux yeux de tout le monde.

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